Qui aura cette idée folle de réinventer l’école ? C’est la question que se poserait peut-être ce bon vieux Charlemagne s’il revenait parmi nous aujourd’hui, lui qui inventa l’école pour tous. Car aujourd’hui, notre monde n’est plus, et de loin, le même. Il est temps de prendre en compte les bouleversements technologiques, sociétaux et comportementaux qui ont conduit à une obsolescence non programmée d’un nombre important de nos pratiques et de notre manière de transmettre les Savoirs.
Comment intégrer ces évolutions dans les pratiques pédagogiques actuelles ? Comment mieux répondre aux besoins d’élèves qui ont besoin d’individualisation et de prise en compte de leurs différences ? Comment ne plus laisser sur le bord de la route une partie des écoliers, collégiens ou lycéens qui ne parviennent pas à suivre les enseignements délivrés de manière traditionnelle ? Comment prendre en compte l’enfant en le replaçant au centre de l’éducation et non seulement dans une approche hiérarchique et verticalisée ?
L’une des réponses à ces multiples interrogations pourrait se trouver dans le retour en force des pédagogies dites alternatives (par comparaison donc avec la pédagogie traditionnelle) que l’on voit se déployer avec un engouement réel des familles, mais aussi d’un certain nombre d’enseignants.
Ces méthodes d’enseignements qui émergent un peu partout et au cœur même de l’éducation nationale, démontrent bien cette volonté partagée de repenser un système qui s’essouffle et peine à offrir à tous les mêmes chances d’accéder à un savoir maîtrisé et adapté à notre siècle. Pourtant, les pédagogies alternatives ne sont en rien nouvelles. Elles sont pour la plupart nées il y a plus de 100 ans dans la cadre du mouvement historique de l’éducation nouvelle.
L’opinion publique, les médias et quelques auteurs se sont saisis du sujet et en ont fait une large diffusion au cours des dernières années à laquelle notre société dans son ensemble semble apporter crédit et s’intéresser. Mais qu’il s’agisse des méthodes Montessori, Freinet, Decroly, ces pédagogies sont toutes apparues au début du XXème siècle.
Au-delà des expériences pédagogiques initiales au moment de leur création, ces mouvements, questionnant le modèle d’enseignement traditionnel ont perduré – comme une alternative et de manière assez symptomatique – au sein du paysage éducatif français. Les écoles hors contrat ont ainsi continué de proposer les méthodes qui avaient été conceptualisées par ces penseurs d’une éducation renouvelée, mais sans que cela n’impacte véritablement l’ensemble du système. Et pour cause : il y avait alors une sorte d’étiquette contestataire et de rejet du modèle dominant pour ceux qui décidaient d’inscrire leurs enfants dans ce type d’établissements. De même, les familles dont l’enfant ne s’adaptait pas à l’école traditionnelle et dont on cherchait le moyen de lui faire acquérir néanmoins les fondamentaux, se tournait alors vers les écoles non traditionnelles.
C’était un siècle où le respect des normes pesait de tout son poids, où il fallait suivre un cursus réglé comme du papier à musique et où hors de ce parcours linéaire, l’élève se trouvait voué à un avenir plus compliqué.
Depuis, ce monde a changé. Les parcours normés ne garantissent plus personne contre le risque du non emploi, bien au contraire. L’adaptabilité et la créativité sont désormais requises un peu partout et ne s’apprennent pas encore dans l’école traditionnelle. Et, voilà nos élèves d’hier sommés de devenir, au-delà des experts qu’ils escomptaient être, des individus agiles, innovants et répondant à cette nouvelle norme sociétale que constitue la maîtrise désormais incontournables des compétences comportementales, ce que l’on appelle softskills. Saluons donc le retour en force des théoriciens d’une pédagogie résolument tournée vers l’enfant que sont le Dr Maria Montessori, Célestin Freinet – pour ne retenir que les plus importants dans ce panorama des pédagogues innovants. Développement de la personnalité de l’enfant, volonté de transformation de l’éducation et idéaux de mixité sociale constituaient à l’époque le socle de ces courants visionnaires. Aujourd’hui, les écoles qui adaptent ces méthodes restent néanmoins beaucoup plus minoritaires que l’écho médiatique et politique qui leur est fait.
Cependant, il est nécessaire de cerner au sein de cet environnement un peu disparate que recouvre l’écosystème des pédagogies alternatives, les apports et intérêts de ces différentes méthodes. Elles sont indéniablement un des éléments à prendre en compte pour faire évoluer un système éducatif qui ne remplit plus forcément la totalité de ces obligations à la fois à l’égard de élèves, mais également ne se trouve plus en phase avec les attentes du monde actuel en termes de formation.
Cela nous amène également à comprendre de quelle manière des enseignants retrouvent aujourd’hui une dynamique et une reconnaissance qui leur fait parfois défaut en tentant sur le terrain, dans leur classe, des expérimentations pédagogiques novatrices empruntées à ces méthodes. Au travers de la mise à disposition d’outils concrets et adaptés, il s’agit d’apprendre à déployer sa pensée, son esprit critique. Il y a la nécessité pour tous de reconquérir sa concentration ou se réapproprier les mots et un vocabulaire étendu, particulièrement en environnement socialement défavorisé, pour permettre de lutter avec efficacité contre le décrochage scolaire, l’exclusion éducative et faire refleurir la confiance. C’est dans ce cadre que les pédagogies alternatives peuvent être un atout indéniable pour réinventer l’éducation.
MONTESSORI
La pédagogie Montessori est très certainement celle dont l’impact sur l’opinion publique est le plus notable au cours des dernières années. Elle a bénéficié par ailleurs du soutien du Ministre de l’Education Nationale qui dans certaines de ses prises de position a mis en avant l’intérêt de cette approche. Enfin, l’expérimentation effectuée dans une école maternelle publique menée par Céline Alvarez, grand succès de librairie, a achevé de redonner un coup de projecteur à cette méthode déjà assez répandue dans de nombreuses écoles hors contrat en France et très présente dans les pays anglo-saxons.
Très souvent encore pourtant, on la connait mal, pensant à tort qu’il s’agit de laisser l’enfant libre dans ses apprentissages et donc de ne rien faire s’il le souhaite. Rien n’est plus faux. Le fondement de la pédagogie Montessori est fondé sur le « Apprends-moi à faire seul(e) », on est donc très loin de l’élève qui s’amuse au lieu de travailler. L’enseignement y est individualisé et donc adapté à l’évolution et aux besoins de l’élève à l’instant T. Une part très importante est consacré à l’expérimentation pratique, en ce compris pour les matières dites académiques comme les mathématiques, le français, les sciences … L’une des particularités de cette méthode est de s’appuyer sur un matériel spécifique dédié permettant à l’enfant d’ancrer les connaissances à acquérir et leur compréhension dans une expérimentation de ces concepts. Le professeur devient un éducateur qui accompagne l’appropriation du savoir par l’élève. Les contenus et les connaissances sont présentés en fonction des « périodes sensibles » qui sont des moments durant lesquels l’enfant va se montrer particulièrement réceptifs à certains concepts ou techniques à acquérir (apprendre à lire, à faire des divisions, à développer sa motricité fine…). L’enfant est ainsi considéré comme une éponge à connaissances dont « l’esprit absorbant » permettra d’accéder de manière épanouie et réussie aux savoirs. Les classes sont composées d’élèves d’âges différents (on parle d’ « ambiances » allant des petits de 0 à 3 ans, à des groupes d’enfants de 3 à 6 ans, puis les 6 à 12 ans. En effet, la stimulation par les pairs est un des points centraux également mis en œuvre. Cette pédagogie permet aux élèves de développer leur autonomie et d’avancer à leur rythme, parfois plus rapidement que les autres, parfois plus lentement.
Autre élément important, la méthode Montessori, et c’est aussi en cela qu’elle nous intéresse, a fait ses preuves dans sa capacité à permettre une progression effective et égalitaire d’élèves en difficulté, y compris ceux qui socialement ne parviennent pas toujours à se mettre à nouveau au sein de classes hétérogènes et se laissent couler aux moments de la transmission des savoirs fondamentaux. Pour ceux-ci comme pour les autres, le recours à la manipulation des objets, le lien constant entre le concret et l’abstrait et le principe de l’assimilation d’une difficulté à la fois vont permettre de maximiser les capacités d’apprentissages. Il y a donc véritablement un grand intérêt à avoir recours à cette pédagogie, au moins partiellement dans le cœur des apprentissages pour faciliter la compréhension.
Nous poursuivrons prochainement notre découverte des pédagogies alternatives avec la méthode Freinet. Une tribune sera également mise en place pour vous présenter les nouvelles disciplines scolaires comme l’éloquence ou la philosophie pour enfant.