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03 août 2020

Le corps peut-il favoriser l’estime de soi et aider à apprendre ?

Sport à l’école
Le corps peut-il favoriser l’estime de soi et aider à apprendre ?

Par Sylvie Colson, Directrice adjointe MGEN Côte d’Or, Professeur Agrégé, Docteur en Didactique de l’Université de Nantes.

Une des fonctions éducatives de l’école est de transmettre ce que Durkheim (1938) appelait un habitus, c’est-à-dire une disposition permanente et généralisée à adopter une certaine attitude, à se tenir devant une œuvre culturelle, d’une certaine façon.

Culturellement, le système éducatif français s’enracine dans le « corps-machine » de Descartes, plus précisément dans la dichotomie « corps-esprit ». En effet, tout se passe comme si l’ensemble des enseignants, hormis ceux dont c’est la mission de mobiliser le corps, ne s’adressaient qu’à l’esprit puisque dans la plupart des cours, rares sont ceux où il est permis de « bouger ».

  1. Corps et esprit : une unité à mobiliser

La confrontation à des élèves en difficulté, souvent de milieu dit défavorisé m’a amenée à lire, à rechercher des solutions en dehors de la sphère purement « institutionnelle » afin de tenter de répondre à ces questions :

  • d’où viennent les difficultés d’apprentissage ?
  • Est-il possible de les résoudre ?
  • Ou, tout au moins, peut-on, modestement apporter de l’aide en termes d’apprentissage, autrement qu’intellectuellement au sein du collège où la part laissée à la créativité ou à la mise en action du corps, par exemple à travers des activités manuelles valorisantes pour les élèves en difficulté, sont devenues la portion congrue au fil du temps ?

Mon parcours familial dans la recherche de la santé m’a également conduite vers la psychologie, mais aussi vers le lien entre le corps et l’esprit. Damasio (1995) m’a confortée dans cette vision : « le cerveau et le corps forment une unité indissociablement intégrée, par le biais de circuits neuraux et biochimiques, où les messages sont acheminés aussi bien dans un sens que dans l’autre. »

S’appuyant sur les travaux de Gesell sur la motricité, le langage et les comportements du bébé « normal », Fay a entrepris quant à lui, avec une équipe pluridisciplinaire, de comprendre le pourquoi et le comment de la chronologie motrice (1955). Leurs observations les ont guidés vers le fait qu’une faille dans ce déroulement ontogénétique avait pour conséquence des troubles de la coordination, de la latéralisation, de la dominance hémisphérique qui retentissaient sur les apprentissages du langage, de la lecture, de l’écriture… 

Dès lors, suite à un raisonnement par induction,  m’a-t-il semblé possible d’envisager la « remédiation » à l’aide du corps qui est l’objet de grandes modifications à l’adolescence, afin de tenter de modifier l’organisation neurologique préexistante.

  1. Le mouvement : créateur de neurones et de connexions dendritiques

 Le mouvement dès la naissance et tout au long de notre vie est une fonction essentielle de notre corps. Il permet la création de réseaux de neurones.

Il semblerait que plus les hémisphères et plus la totalité des lobes sont activités, plus il se forme de connexions dendritiques qui s’étendent à travers le corps calleux, favorisant la myélinisation qui se poursuit jusqu’à l’âge de 20 ans.

Attendu qu’en réponse aux stimuli sensoriels et aux mouvements, nos neurones se connectent avec d’autres et que les deux aires cérébrales : le ganglion basal et le cervelet contrôlent le mouvement musculaire, mais aussi la coordination de la pensée, aussi m’a-t-il semblé opportun, d’envisager de stimuler la cognition par des activités corporelles, travaillant ainsi ce qui est en amont de la difficulté.

  1. Des exercices corporels pas uniquement créateurs de neurones

Avec le concept de plasticité, le système nerveux central (SNC) n’est plus vu comme statique et immuable, mais il est désormais regardé comme un univers dynamique et réagissant.

Le corps est le lieu où s’expriment les divers changements en termes de pensées, d’émotions, d’affects en fonction des stress de la vie.

Les élèves en difficultés ont de multiples raisons de se trouver en situation de stress, parmi elles, leurs résultats faibles qui les mettent en position d’échec, voire de souffrance psychologique. Beaucoup d’entre eux ont tendance à se dévaloriser, à avoir une image très négative d’eux-mêmes.

Tenter de contribuer à une organisation neurologique « adéquate » afin de contribuer à une forme de maturation en réinformant le SNC, tel fut mon objectif en inventant une série d’exercices corporels : « la L.GYM ou LearningGYM, Gymnastique de l’Apprentissage » d’autant que, beaucoup d’adolescents bougent peu (Hannaford, 1997), étant plutôt adeptes de la télévision, des jeux vidéo, des ordinateurs ou bien encore des tablettes.

Or, l’insuffisance de mobilité a pour conséquence la fatigue nerveuse qui, comme le dit Vermeil (1987) va toucher la plupart des fonctions du SNC : « ralentissement des transmissions, réduction du pouvoir d’attention, ralentissement de la réflexion, réduction des perceptions sensorielles, inhibition des fonctions psychiques (désintérêt pour le travail, l’entourage, inaptitude au choix et à la décision, etc.). Elle s’accompagne souvent aussi de manifestations caractérielles : irritabilité, dépression, peur, absence d’initiative. »

Il semble que, parmi les causes possibles de l’échec scolaire, une des problématiques possibles puisse être une absence de mobilisation suffisante du corps. Pourtant, des activités corporelles pourraient faire disparaître certains facteurs inhibants de l’apprentissage et renforcer les interconnexions cerveau/corps.

  1. Quels exercices corporels ? Pourquoi pas «La L.GYM » ?

Consciente que certains enfants sont davantage visuels ou auditifs ou bien kinesthésiques, mais comment aider ces derniers dans mon enseignement et tenter de suppléer les carences du système éducatif ? La lecture de travaux scientifiques m’a amenée à mettre au point la L.GYM dont les effets ont été mesurés au cours d’une recherche-action au collège de Talant.

La L.GYM, est une série d’exercices corporels (théories scientifiques : en annexe) à la fois statiques et dynamiques qui a pour but de :

  • favoriser la motilité oculaire (Tortora, 1990 ; Hannaford, 1997)
  • stimuler les liquides de l’oreille interne (Ayres, 1972 ; Hannaford, 1997)
  • renforcer latéralisation et coordination
  • favoriser le mouvement, la détente, la décontraction, la gestion du stress, le repos (Debré et al 1962 ; Vermeil, 1987)
  • stimuler le SNC, d’oxygéner le cerveau et tout le corps puisque les exercices se font fenêtres ouvertes
  • stimuler les fonctions cognitives par le mouvement.

Or, les enfants en difficulté d’apprentissage sont en situation de stress avec une conséquence sur leurs yeux, à savoir que « les muscles oculaires externes tendent à se renforcer, allongeant les muscles internes, provoquant encore plus de difficultés à accommoder (accommodation fovéale) et à suivre des yeux » (Hannaford, 1997).

En outre, une autre étude de Kohen-Raz (1988) a montré que des enfants en première année d’école primaire qui ont participé à des exercices physiques comprenant des mouvements cérébello-vestibulaires ont vu leur taux d’échec scolaire diminuer de façon considérable et celle de Mosse (1982) « démontre que le mouvement et la stimulation de l’équilibre sont très utiles dans les cas de troubles de l’attention, et améliorent la lecture. » (1997).

Dans ma pratique, j’ai pu observer que la mémorisation (de l’alphabet, des mois, des poésies…) était facilitée par l’utilisation des mouvements croisés. Or, ils stimulent la coordination motrice, l’équilibre et activent les lobes frontaux « où les connexions cortico-corticales servent de fonction de planification, d’initiation, de monitorisation des actions et de leurs effets…» (Nauta cité par Baribeau sous la direction de Botez, 1987).

Girard confirme que les apprentissages comprennent trois
aspects : « moteur, affectif et intellectuel. Si l’un d’eux n’est pas sollicité, l’apprentissage est moins solide : «L’aspect moteur est souvent négligé et même lorsqu’il est pris en compte, il n’est pas correctement relié aux deux autres (1997).»

  1. Les exercices corporels favorisent l’estime de soi

Ces exercices qui stimulent le SNC et les fonctions cognitives par le mouvement renforcent également l’estime de soi (amélioration pour six élèves sur quatorze). La L.GYM semble donc être un moyen de modifier positivement l’intelligence émotionnelle (Goleman : 1997) et de stimuler les fonctions cognitives.

La pratique de la L.GYM a démontré les bienfaits du mouvement sur l’apprentissage (la concentration, la compréhension, la mémorisation, l’autonomie, la motivation, la diminution des difficultés de compréhension, la diminution de la perte d’attention, les facilités d’apprentissage, la lecture, la prononciation, tant au plan physique (la vision, la baisse du niveau de stress, la rapidité : signe de maturation, qu’au plan émotionnel (le mieux-être, l’estime de soi)  puisqu’elle a permis  la stimulation d’une vingtaine des conditions de l’acte d’apprendre. Spolsky (1997) parle de 74 conditions de l’acte d’apprendre, dont l’estime de soi puisque le climat en classe fut propice aux apprentissages et au bien-être de tous.

S.Turcotte, directeur du département de kinanthropologie de l’Université de Sherbrooke (Québec) a eu, avec une équipe de chercheurs, pour projet d’implanter une période d’activité physique quotidienne de 20 minutes avant la classe en école primaire afin de favoriser l’apparition de facteurs prédisposant les élèves à l’apprentissage.

Les bienfaits de l’activité physique furent observés par les enseignantes et appuyés par la littérature scientifique (Rasberry, 2011) : meilleure capacité de mémorisation, aptitudes d’attention et de concentration accrues, apparition de comportements souhaités en classe.

En outre cette étude a montré que l’activité physique augmente la confiance en soi, l’estime de soi ainsi que l’image de soi des enfants.

Les jeunes qui présentent une meilleure condition physique ont de meilleurs résultats scolaires.

Cette vision holistique de l’équilibre humain : « bien dans son corps, bien dans sa tête » ne rejoint-elle pas une vision, elle aussi, globale de l’apprentissage ? Nos sens ne sont-ils pas en action dans tout le corps ? Stimuler le SNC pour un nouvel équilibre en favorisant l’adaptation par le principe de « l’équivalence motrice » est un moyen de favoriser de nouvelles voies d’apprentissage. C’est ce que semble conclure la recherche en neurosciences qui selon Hannaford (1997) affirme que « ce sont nos mouvements qui expriment le savoir et favorisent le fonctionnement cognitif à mesure qu’ils gagnent en complexité. »

Mais pour l’heure, psychologues, psychomotriciens, orthophonistes, ergothérapeutes sont en dehors de l’école, comme si les problèmes touchant ces domaines se situaient en dehors de  l’acte d’apprendre. Les apports du corps sont bien connus par ces professionnels de santé, en revanche méconnus chez les pédagogues.

La L.GYM a fait son entrée à l’IUFM de Mâcon depuis 2009 et en 2013 à l’IUFM de Dijon au cours d’une table ronde co-animée avec S. Turcotte, chercheur mais peut-être faudrait-il permettre, en termes de formation pour les enseignants, l’ouverture du métier à une forme de polyvalence par un solide enseignement sur le corps puisqu’il est le grand oublié de l’acte d’apprendre ? Pourtant, aucune des fonctions de la tête n’existe sans le corps. Or, comment envisager de mobiliser le corps en le méconnaissant ?

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