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19 Septembre 2023

Le Petit Théâtre Citoyen : Interview de Justine Broussais, Doctorante en Sciences de l’Education

Interview
Le Petit Théâtre Citoyen : Interview de Justine Broussais, Doctorante en Sciences de l’Education

Justine Broussais, doctorante en Sciences de l’Education, chargée de projets en CIFRE chez ADOSEN, travaille depuis maintenant 2 ans sur la conception du nouvel outil de prévention du harcèlement de l’association : Le Petit Théâtre Citoyen. En parallèle, elle réalise une thèse sur « l’étude des dispositifs et pratiques utilisant le dialogue philosophique, la déstabilisation et la rencontre de l’altérité, dans une visée de prévention à la santé dans le contexte scolaire ». Justine nous accorde cette interview pour nous aider à comprendre la genèse derrière la conception de cet outil à destination des enfants, de la maternelle au CM2 dans le milieu scolaire et périscolaire.

 


 

Nous sommes toutes et tous conscients des enjeux actuels autour du harcèlement. Ma première question, donc, porte sur la tranche d’âge et le format choisi pour cet outil. Pourquoi ce parti pris ?

En effet les constats accablants que nous tirons du terrain ont guidé notre volonté d’agir dès le plus jeunes âges et cela non pour remédier à des situations difficiles et problématiques ancrées, mais pour amorcer une réflexion de ces futurs citoyens autour de leurs choix et de la responsabilité qu’ils ont envers eux et envers autrui. En somme, il s’agit d’instaurer des échanges collectifs et des outils concrets pour prendre l’autre en considération et apprendre à exister au sein du groupe et ce dès le plus jeune âge.

Ca explique très bien le choix de la tranche d’âge, mais qu’en est – il du format ? 

On voulait adopter une démarche qui fait sens intégralement dans le lien à l’autre. Donc le rapport au corps est primordial, il s’agit de faire passer des images avec un objet (le théâtre). Les images ne défilent pas de manière numérique ou encore mécanique, c’est le conteur/animateur qui fait défiler et bouger les images et cela suit le tempo de sa voix. C’est important quand on pense à l’aspect de déréalisation des sujets qui impact le rapport à l’autre à travers les écrans loin d’être annexe au sujet du harcèlement aujourd’hui. Ainsi la voix, le corps et la présence de l’animateur ont une importance et cette place au corps et aux émotions est tout aussi importante dans les contes et les activités proposées aux enfants ensuite et qui vont construire leur rapport à leur propre corps et celui des autres. 

Justine Broussais, doctorante en Sciences de l’Education et chargée de projets en CIFRE chez ADOSEN, présentant un Butaï

D’accord, alors ce nouvel outil si je comprends bien, fait une place importante au corps et à l’art, est-il toujours en lien avec la pédagogie réflexive d’ADOSEN ? 

Oui bien sûr. Les petits contes sous forme de kamishibaï sont une amorce au dialogue. Ces histoires sont écrites pour susciter l’intérêt, l’identification et le questionnement des enfants. Ce ne sont pas des contes avec une morale à la fin qui dictent un comportement de manière explicite ou implicite. Ils sont écrits pour favoriser le dialogue entre les enfants, puis ils amorcent des activités en lien, qui sont des exercices avec des enjeux  à la fois logiques, sociaux et créatifs. 

Mais ce n’est pas trop difficile pour des enfants ? 

Comme vous le savez, la pédagogie d’ADOSEN de prévention réflexive s’est construite avant tout pour répondre à un objectif: promouvoir la santé sans prescrire les bon comportements à adopter. Pour cela elle s’est inspirée de la pratique du dialogue philosophique. Cette pratique vise l’acquisition de la pensée d’excellence: une pensée multidimensionnelle qui allie une pensée critique, créative et pensée vigilante à travers les habiletés de pensée. C’est un concept que M. Lipman a lui-même qualifié de “très vaste”. Ce concept regroupe par exemple les facultés à savoir distinguer, nuancer une idée ou pouvoir justifier des croyances par des raisons convaincantes etc. La prévention reprend donc la posture réflexive guidée par la recherche de vérité au sein de la pratique du dialogue philosophique et aussi son processus collectif et collaboratif.

Et les enfants dans tout ça ? Ça a l’air encore plus complexe ! 

Justine: En effet quand on parle de philosophie, de pensée d’excellence et d’habiletés de pensé on a plutôt l’impression que je m’éloigne du sujet. Ce programme de pratique philosophique s’est vraiment ancré historiquement pour être pratiqué avec des enfants dès 5 ans. Nous constatons, pour en revenir à la prévention réflexive, une forte implication des enfants durant ces échanges : des réflexions participatives

As-tu un exemple concret ? Les enfants n’auront pas tendance à partir sur un sujet de super héros ou autre chose qui n’a rien avoir avec le harcèlement? 

Pour donner un exemple concret, durant les tests de l’outil avec une classe de maternelle, l’histoire comté est une expérience de pensée qui interroge nos actes si nous devenons invisibles. L’histoire a été appréciée, et donc a été écoutée avec attention. Ensuite, pendant le dialogue, ils ont évoqué des thèmes sur l’entraide, la moquerie, la distinction entre les bêtises et la méchanceté. Ils ont dit que le visage d’un des personnages était méchant. Je les ai donc invité à s’interroger sur l’apparence de la méchanceté et la méchanceté. Il y a beaucoup d’habiletés de pensées en jeu ici : la recherche par le questionnement de l’image, la définition –  qu’est-ce que la méchanceté, et la distinction avec la différence entre avoir l’air méchant et être méchant. Tout ceci forme les mécanismes de la reconnaissance de l’autre et de sa responsabilité envers autrui. Et tout ça avec une classe de maternelle moyenne et grande section! 

Restons dans le concret : pour construire l’outil, vous avez travaillé il me semble avec un illustrateur et un artisan menuisier, comment s’est passée cette collaboration et quels sont les enjeux éventuels de celle-ci? 

Oui, c’est vraiment un plaisir de travailler avec Etienne Decré, illustrateur et Sébastien Kany, artisan qui est également professeur de collège. Tous les deux ont apporté et nourri cet outil. Étienne par sa vision créative et expérience avec l’illustration jeunesse, Sébastien par son expérience de professeur qui utilise déjà le kamishibaï en classe. Il y a vraiment une démarche globale dans le Petit Théâtre Citoyen. On a créé un outil en adoptant une démarche collective, éthique et créative, en réfléchissant à comment développer aussi ces compétences chez les plus jeunes. Pour donner un autre exemple concret, la police d’écriture utilisée sur notre Butaï (le théâtre en bois conçu par Sébastien Kany) est une police qu’il nous a recommandé et qui est utilisée pour l’apprentissage de la lecture. 

Réunion  entre Justine Broussais, Sofia El Yousfi (déléguée générale de l’association), et Sébastien Kany, artisan réalisant le Butaï ADOSEN pour Le Petit Théâtre Citoyen

Tu parles des expressions et du vécu des personnages dans les histoires, pourquoi ne pas justement être aller sur le terrain des émotions plutôt que celui de la réflexion et la mise à distance? 

La démarche repose sur la réflexion afin de travailler les compétences psychosociales et l’esprit critique. A travers des habiletés de pensées précédemment citées on travaille sur la mise à distance des émotions, non pas pour les nier ou les étouffer mais au contraire pour pouvoir y réfléchir. On ne parle pas avec nos émotions mais de nos émotions. Les histoires, les illustrations, les activités travaillent le lien aux autres, la confiance en soi, les difficultés et bénéfices d’évoluer dans un groupe social. Elles tournent toutes autour des enjeux du harcèlement sans nommer celui-ci frontalement. Cependant nous avons pu observer dans les différents tests réalisés que les enfants en viennent à en parler par eux-mêmes, que ce soit sur l’histoire, sur la confiance en soi ou sur le rire. La démarche de mise à distance permet que ce soit eux qui viennent à en parler, sans risque de ras le bol, de sensation intrusif ou de culpabilité. C’est eux qui parlent et mobilisent des compétences d’écoute et de compréhension de soi et de l’autre, sans qu’on ait à leur parler de harcèlement. 

Dernière question: quand et où sera disponible cet outil? 

Il sera disponible à partir du 29 novembre, librement téléchargeable et imprimable sur le site internet d’ ADOSEN Prévention Santé. 

Télécharger le dossier de presse !


 


Justine Broussais, doctorante en Sciences de l’Education et chargée de projets en CIFRE chez ADOSEN

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