« Loi du 9 décembre 1905 : cent quinze ans après, comprendre cette trop incomprise laïcité »
Non classéCadre juridique, principe d’organisation de la société, instrument d’émancipation individuelle et collective, c’est tout cela la laïcité, pour Eric Chenut : à la fois socle et clef de voûte de la République.
Une tribune d’Eric Chenut, Président d’ADOSEN.
Le 9 décembre 1905, à l’initiative d’Aristide Briand, l’Assemblée nationale votait la loi de séparation des Églises et de l’État, codifiant la laïcité. Cent quinze ans après, la société dans laquelle nous vivons a peu à voir avec celle de 1905 mais les principes qui permettent aux femmes et hommes d’être libres et d’agir dans la cité en citoyens éclairés, eux, restent les mêmes.
C’est un curieux phénomène que la loi la plus importante de la République soit également la plus disputée et finalement la plus incomprise d’une partie de nos concitoyens et d’une grande partie du monde.
LOI DE DIEU VS LOI DES HOMMES
La laïcité est la forme française de la sécularisation des sociétés chrétiennes, mouvement entamé à la Renaissance et qui s’accélère au XVIIIe siècle, quand, à la suite de John Locke, les philosophes des Lumières relancent à travers toute l’Europe la question de la séparation des Églises et des États. En jeu : l’émancipation des sociétés de la contrainte religieuse et le passage du régime de l’hétéronomie (la loi vient d’en haut, de dieu) à celui de l’autonomie (la loi est produite par les hommes). Controverse qui trouvera en France un débouché politique dans « la première séparation » instaurée en 1794 par la Convention nationale.
La loi de 1905 conclut ainsi, par un texte de compromis, l’affrontement qui opposa deux conceptions sur la place des Églises dans la société française. Ferdinand Buisson, dans son Dictionnaire de pédagogie, précisera que « l’Etat laïque, c’est-à-dire la délimitation profonde entre le temporel et le spirituel, est entré dans les mœurs démocratique de manière à n’en plus sortir. »
Si la laïcité est un cadre juridique, l’esprit de la loi va bien plus loin : c’est un principe d’organisation de la société qui s’est imposé comme clef de voûte de l’édifice républicain. Réduite à une simple opinion par ses contempteurs, la laïcité est au contraire la liberté d’en avoir une.
Concrètement, que garantit la laïcité en France ? Le droit absolu à la liberté de conscience, la liberté d’expression et le libre choix. Elle est ainsi l’essence de nos libertés individuelles et de l’égalité des droits, elle constitue le fondement indispensable de l’harmonie sociale et de l’unité de la nation.
UNE EXIGENCE À ÊTRE AU MONDE
Elle dessine le contour de notre civilité, une exigence à être au monde selon les codes d’un humanisme moderne qui offre à chacun un accès égal aux connaissances et aux responsabilités, aux mêmes droits et aux mêmes devoirs. C’est, in fine, une doctrine de la liberté dans l’espace civique.
De même, c’est une lecture trop près du texte de la réduire à la séparation des Églises et de l’État, à la neutralité de celui-ci et à son impartialité vis-à-vis des citoyens, à la liberté de croire et de ne pas croire. Si ce sont d’incontestables acquis de civilisation, la loi de 1905 érige la laïcité en principe universel, porteur d’avenir et d’espoir.
Cadre juridique, principe d’organisation de la société, instrument d’émancipation individuelle et collective, à la fois socle et clef de voûte de la République, elle s’est finalement imposée comme l’épiderme protecteur et le mécanisme d’auto-défense des principes de la République. Elle doit nous prémunir à la fois des instrumentalisations de l’extrême droite qui veut faire de la laïcité un régime de discrimination à l’endroit de nos concitoyens de confession musulmane mais aussi des résurgences du cléricalisme, aux volontés d’imposer les lois divines au-dessus des lois civiles.
Ne prenons à ce titre qu’un exemple : d’où viennent les principales volontés de remise en cause des acquis du féminisme ? Des obédiences religieuses. La laïcité et l’égalité femmes-hommes, ici, se confondent.
POURQUOI L’ÉCOLE EST PRISE D’ASSAUT
D’ailleurs, où les citoyens « libres et éclairés » se construisent-ils ? A l’école, et c’est bien parce que l’école publique, laïque, gratuite et obligatoire, pour reprendre la formule consacrée, est la grande forge à citoyennes et citoyens, que celle-ci est prise d’assaut depuis 1989 (affaire de Creil) par l’islam politique en France. C’est bien parce que c’est à l’école que se transmettent les principes de la liberté, d’égalité et de fraternité que le fondamentalisme chrétien s’est puissamment mobilisé contre les abécédaires de l’égalité, et nous ne pouvons que regretter qu’ils aient été retirés après la première campagne de fake news menée en France par l’extrême droite catholique.
Contre ces attaques menées contre l’école émancipatrice, il nous appartient d’y faire vivre concrètement la laïcité, à l’image du collège Vauquelin de Toulouse qui fut récompensé cette année du prix de l’initiative laïque aux Rendez-vous de l’histoire de Blois pour la création d’une webradio animée par les collégiens sur la laïcité. Citons également les centaines d’initiatives menées dans les écoles, collèges et lycées sur l’égalité filles-garçons ou sur l’émergence très prometteuse de l’apprentissage de la liberté de conscience par le dialogue philosophique dès le plus jeune âge. Il faut en effet rendre les jeunes acteurs du développement de leur prise de conscience citoyenne.
Les retours d’expérience menés sur cette pratique prouvent que lorsqu’on promeut la citoyenneté des élèves, qu’on les accompagne sur le chemin de leur propre autonomie, s’incarne la laïcité dans son essence républicaine et émancipatrice.
Pour s’assurer du bon encadrement des élèves, pourquoi ne pas reprendre l’idée d’une épreuve sur la laïcité commune à tous les concours de l’enseignement ?
C’est à l’école qu’on livre aux futures citoyennes et citoyens les clefs pour décoder le monde, le comprendre et en maîtriser les codes afin d’y agir en citoyennes et citoyens, de s’y mouvoir en femmes et hommes libres et responsables. Voilà ce qu’est la laïcité, le passeport citoyen pour l’émancipation.